Lundi dernier s’est tenu à Marrakech le Conseil mondial des rédacteurs en chef. C’était la première fois dans un pays arabe, la deuxième dans le monde musulman après la Turquie en 2004. Un événement dans lequel certains professionnels du secteur voient l’expression d’une certaine reconnaissance par la presse internationale à l’endroit de la presse nationale. Surtout que ledit conseil est une entité de la World of Newspapers (WAN) qui regroupe quelque 18000 publications à travers le monde. Soit. Mais l’état de la presse nationale semble être une simple belle vitrine avec, en arrière plan, un malaise palpable. Analyse.
700. C’est environ le nombre de titres diffusés au Maroc. Un contrôle de diffusion a été désormais établi. Et, il y a juste quelques semaines, le ministre de la Communication et porte parole du gouvernement, M. Nabil Benabdallah, signait avec la Fédération des éditeurs de presse et le Syndicat national de la Presse marocaine une convention relative aux exigences nouvelles d’organisation de la profession de journaliste : salaire minimum, convention collective, statut des entreprises de presse, etc. L’aide publique prévue par la loi de finances pour 2006 touchera environ les 2/3 des publications –celles qui ont accepté le jeu de la rationalisation et de la transparence dans leur gestion-, à savoir de leur comptabilité, compte d’exploitation, cotisation Cnss à jour, quitus fiscal… Le nouveau projet de réforme du code de la presse prévoit même la suppression des peines d’emprisonnements pour les délits de presse.
Le cadre de travail est assaini, et il doit y être donc agréable d’exercer sa profession, serions-nous tentés de conclure… Mais ce serait un jugement hâtif. En effet, d’abord, au chiffre de 700 titres diffusés il faudra ajouter que le nombre approximatif total d’exemplaires vendus par jour –toutes périodicités et langues confondues- est de quelque 300 000 ; que le taux de pénétration de la presse est de 13 exemplaires pour 1000 personnes contre une moyenne mondiale de 95, et contre 40…pour le voisin algérien. Ensuite, avec ce nombre si réduit d’exemplaires par rapport au nombre de titres, c’est un lectorat totalement morcelé et « atomisé », ajouté au fait que « A l’image des partis politiques, les journaux se multiplient au gré des dissidences partisanes, des intérêts commerciaux ou des ambitions personnelles ». Ce qui peut donner souvent lieu à des règlements de comptes, des diffamations ; donc des entorses aux principes déontologiques, ou encore à du sensationnalisme si ce n’est du voyeurisme. « Le tout, comme le note Mustapha Sehimi de Maroc Hebdo dans une frénésie brouillonne, confuse, malmenant quelque peu le socle des valeurs dont elle [la presse] se réclame ». Ces valeurs, ce sont par exemple les principes moraux que la profession elle-même s’est édictés. Et quand la justice intervient c’est parce que la profession s’est souvent faite prendre au mot !
La justice en ce moment n’a fait que chercher la petite bête, comme on dit, dans les faits pour les soumettre au test de conformité avec ladite charte. Cela s’appelle creuser sa propre tombe. Ainsi, quand le journal Al Bidaoui fait une couverture (finalement non éditée) sur « Dieu a maudit ce putain de pays », même si il prétend que c’est le résultat d’un sondage de la rue, il lui sera difficile de vérifier la source ; car le « qui » des « 5w » est…Dieu ! Eh oui des dérapages il n’en manque pas. Même Khalid Jamai, journaliste et chroniqueur au Journal Hebdo, et connu pour ses coups de gueules, a reconnu lors d’une table ronde organisée par Tel Quel sur « Médias et Royauté : jusqu’où peut-on aller ? » qu’il a été « touché par le dossier d’Al Ayam sur les harems, qui donnait beaucoup de détails intimes sur les Alaouites en tant que famille ». Et d’ajouter « Personnellement, je n’accepterais pas qu’on parle de ma famille de cette manière ».
Autre problème qui a fait réagir pas mal de gens, politiques comme journalistes, est l’affaire du sondage d’Al Jarida Al Oukhra qui plaçait Driss Benzekri devant le Roi. A ce sujet, le journaliste Naim Kamal a tenu à faire une mise au point : « La personne du Roi est celle de tous les Marocains et ne doit de ce fait faire l’objet d’un tel choix.» Sans compter les nombreux cas devant la justice pour différents motifs invoqués, entre autres celui de la diffamation. Tout cela prouve que la presse vit dans un certain cafouillage, qu’elle se cherche encore. Pour en sortir, il faudra un débat sérieux entre professionnels, à visage découvert sans se caresser dans le sens du poil, et sans rancune. Ce sera salutaire pour notre presse nationale.
Bassirou Bâ
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